Nous reproduisons ci-dessous l'article paru sur le site de Essonne
Info.
SOCIETE > Samedi dernier s’est déroulé à Evry le rendez-vous annuel des Six heures pour la Palestine, événement de solidarité pour la cause palestinienne. Les organisateurs ont choisi cette année de développer la problématique des arabes israéliens, minorité vivant au sein de l’Etat d’Israël.
Plusieurs témoignages sont venus ponctuer cette journée, qui a été également l’occasion du lancement de la campagne nationale Un bateau français pour Gaza. En présence de Jamal Zahalka et Yaël Lerer, membres du parti Balad, une symbolique maquette de bâteau a été présentée au public. Ces deux invités, présents quelques jours en France, ont accepté le temps d’une rencontre, de répondre aux questions de la rédaction d’Essonne Info. Nous vous livrons ici le rendu de cette entrevue. Vous retrouverez cette semaine, d’autres sujets sur les débats survenus lors des Six heures pour la Palestine.
Pour leur visite en France, Jamal Zahalka et et Yaël Lerer ont eu un programme chargé. Après plusieurs réunions à Paris, dont une rencontre avec la secrétaire nationale des Verts Cécile Duflot, les deux membres du parti des arabes-israëliens Balad ont passé une journée en Essonne. Après un repas avec le président du Conseil général Michel Berson, ils ont passé leur après-midi aux Six heures, l’événement de l’association Evry Palestine. Au sortir d’un débat sur « les Palestiniens de l’intérieur », ils ont tout deux accordé une interview à Essonne Info, une des rares rédaction française à leur avoir ouvert ses colonnes.
Essonne Info : Jamal Zahalka, vous êtes député à la Knesset et chef du parti Balad. Vous êtes actuellement en France pour quelques jours. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre présence, ici à Evry?
Jamal Zahalka : J’ai été invité par Evry Palestine, pour leur événement de six heures de solidarité avec la Palestine. J’ai également participé à des rencontres à Paris, jeudi et vendredi. Cette année est très importante, en ce qui concerne la situation en Israël et Palestine. Je parle particulièrement des changements à venir pour les palestiniens vivant en Israël. Je suis ici pour parler de la situation de cette communauté, qui fait partie du peuple palestinien. Israël compte 15% de palestiniens, soit 1,3 millions de personnes, qui sont citoyens de ce pays. Ils vivent une période très tendue.
Essonne Info : Diriez-vous que la communauté internationale ne parle pas assez du cas des arabes israëliens, dans le cadre des débats liés au proche-orient?
Jamal Zahalka : Je pense que la communauté internationale considère cette question comme relevant de la politique intérieure d’Israël. Nous faisons au contraire partie de la solution palestinienne globale, nous sommes donc en train de mener une campagne internationale pour expliquer que nous vivons une situation de minorité en danger. Parce qu’il y a de plus en plus de lois votées contre nous. Les poltiques que nous subissons, comme les destructions de maisons, les confiscations de terrains, la discrimination qui nous touche, la pauvreté… tout cela devient extrémenent choquant. Le monde ne peut pas être silencieux ou indifférent. Par exemple, actuellement, Israël demande à être reconnu comme Etat juif. Il faut que le monde comprenne ce que cela signifierait pour nous, pour notre communauté.
Essonne Info : Quelles sont les dispositions que vous subissez?
Jamal Zahalka : Il y a déjà les réquisitions et spoliations de terres au profit de l’Etat, ce qui nous pénalise toujours plus. Nous faisons maintenant face à de nouvelles lois racistes contre notre communauté. Par exemple, ce lundi, la Knesset va approuver une loi qui restreint les conditions de la citoyenneté pour les personnes non-juives. Si deux palestiniens, l’un vivant en Cisjordanie, l’autre en Israël se marient, ils ne pourront plus pratiquer le regroupement familial au sein de l’Etat d’Israël, et prétendre à la citoyenneté. Il faudra alors qu’ils quittent le pays. Tout cela montre une évolution dangeureuse de nos conditions. Nous sommes en train de devenir une minorité de sous-citoyens, avec moins de droits.
Essonne Info : Yaël Lerer, vous êtes également membre du parti Balad, pouvez-vous nous exposer les propositions de votre parti pour une solution de paix dans le futur?
Yaël Lerer : Ma solution sera très simple : Il faut rétablir les droits fondamentaux pour les tous les citoyens d’Israël. Notre parti est le seul à proposer une réelle égalité des droits, la justice et la liberté pour le peuple et la démocratie. C’est là la seule solution. Vous appelez ça « valeurs françaises », mais ce sont en réalités des valeurs universelles. Nous voulons que dans ce pays, les gens apprennent à vivre ensemble, et pas d’un côté le maître, de l’autre l’esclave. La seule façon d’aboutir à cela, ce n’est pas d’attendre que le gouvernement israëlien fasse avancer les choses. Notre parti a été créé il y a 20 ans dans cette optique. Nous devons empêcher qu’Israël devienne véritablement un Etat confessionnel, pour que personne n’y soit discriminé. Notre slogan principal est d’ailleurs : « Nous voulons un Etat pour tous ses citoyens ». Cela peut parfois être difficile à comprendre vu de la France, parce que pour vous, une République est un régime où tous les citoyens ont les mêmes droits. Nous, nous sommes dans un Etat où il existe deux catégories de citoyens qui n’ont pas les mêmes droits. Il faut bien faire attention, la loi ne discrimine pas directement les arabes. Mais ce sont des clauses particulières, cachées. Notre parti souhaite simplement un retour à un Etat normal, que les gens vivent dans l’égalité. Nous défendons également le droit pour les minorités, que chacun puisse garder sa culture, pratiquer sa propre langue, que les identités ne disparaissent pas. Il s’agit de droits individuels et collectifs.
Essonne Info : Vous êtes un parti défendant uniquement les arabes-israéliens?
Yaël Lerer : Naturellement, la majorité de nos électeurs sont de la communauté palestienne vivant en Israël, mais c’est un parti ouvert à tous, par exemple moi qui suis juive et qui étais candidate du parti l’année dernière. Bien sûr, ce sont des intellectuels ou professeurs qui pour la plupart composent ce parti en plus de la communauté arabe. Nous comprennons que lorsque des personnes detiennent des privilèges, elles ont du mal à vouloir les rendre. Il y a donc besoin d’un haut niveau de conscience politique pour faire le pas, et changer les choses. Il y a la question de la justice sociale, et il faut bien comprendre que lorsque 50% des palestiniens d’Israël vivent sous le seuil de pauvreté, ce ne sont que 15% pour la population juive, ce qui est déjà le double d’un pays comme la France. De plus, Israël est un pays très libéral économiquement, ce qui signifie que quand vous êtes pauvre la bas, les difficultés sont plus grandes car il n’existe pas de système social généreux.
Malheureusement, les populistes en Israël, comme dans tous les pays, parlent aux gens en difficultés, et leur disent que leurs enemis sont les arabes. Leur discours arrive alors à mieux passer dans la société, comme le montre le score du parti de Monsieur Libermann lors du dernier scrutin (ndlr : 15 sièges pour le parti d’extrême droite Israël Beytenou « Israël notre maison »). Nous n’avons pas particulièrement peur de son discours en lui-même, mais de sa façon de voir les choses de manière extrêmement violente. De même, rendez-vous compte que 94% de la population juive a soutenu que le massacre perpetué à Gaza l’année dernière était justifié.
Essonne Info : Entretenez-vous des relations avec les partis palestiniens? Si oui de quelle nature sont-elles?
Jamal Zahalka : Nous sommes un parti politique avec une plateforme, un programme et un agenda. Nous sommes indépendants, et n’avons pas de lien particulier avec tel parti ou fraction politique. Nous avons cependant de bonnes relations avec tous les partis palestiniens. Nous avons des débats naturels et des désaccords avec certains d’entre eux. Nous discutons donc avec eux de la situation, de son évolution, et de ce qui devrait être fait ou non. Avant la construction du mur, nous nous rencontrions plus, lors de meetings ou congrès. C’est maintenant plus rare car nous avons plus de mal à nous déplacer en Cisjordanie et vice-versa. Nous commémorons certaines dates palestiniennes ensemble, bien que chacun dans notre coin. Mais nous y arrivons parfois, notamment lors de manifestations à Bil’in (ndlr : village palestinien théâtre de mobilisations non-violentes contre le mur de séparation), ou encore récemment lors d’un meeting à Ramallah dans lequel j’ai eu la parole devant 10 000 personnes. Il y a également les cérémonies du souvenir de la mort de Yasser Arafat, pour lesquelles nous sommes présents. Il faut dire que c’est dur de se déplacer librement, sachant que les services israëliens suivent plusieurs de nos membres.
Yaël Lerer : Ce que nous soulevons n’est malheureusement pas assez médiatisé, car tout se concentre sur les relations et négociations avec l’autorité palestinienne. La plupart des discussions à la Knesset concernent les territoires occupés.
Jamal Zahalka : A notre niveau, nous tentons d’agir pour notre communauté, présente sur le territoire israëlien, et avec elle. Nous avons ainsi organisé un large rassemblement contre les attaques de l’armée sur Gaza, auquel se sont joints plus de 100 000 personnes, soit presque 10% de notre communauté. Imaginez, ici en France, une manifestation de 6 millions de personnes ! Nous faisons donc pleinement partie de la solution au conflit, et revendiquons une réelle participation à ce processus. Tel est le message que nous souhaitons faire passer.
Interview et traduction : Julien Monier